Vivre et habiter autrement
« Refuges naturels »
Par Mathilde Annaud
« Au cœur des vallées secrètes des Pyrénées fleurissent de nos jours peut-être un peu plus qu’ailleurs de drôles d’habitats qui n’ont rien des fleurs de béton ou d’aggloméré par les normes imposées. De paille, de toile ou sur roulettes, ces foyers plus ou moins écologiques riment souvent avec économie solidaire, militantisme et rupture sociale ou affective. Éphémères, mobiles ou construits pour durer quelques années, ils signalent aussi une réalité nomade faite de précarité, temporaire ou installée, qui se conjugue à la volonté affichée d’y faire face en inventant une autre façon de se loger. Et de créer son havre de paix dans une nature préservée, quitte à faire quelques compromis avec la légalité. Plongée sans filet dans l’univers camouflé de demeures légères, nichées entre rêves d’autonomie et obstacles de la réalité.
Le temporaire qui dure
Une construction légère représente parfois le meilleur moyen de faire face aux manques de moyens, en attendant de pouvoir bâtir son coin de paradis. Planté à 12OO mètres sur les hauteurs du Val d’Azun contre un muret de pierre qui le camoufle, le Marabout de Titom l’illustre bien. Cette tente de toile lourde – 45 m2 habitables avec mezzanine – abrite tout le nécessaire du « propriétaire terrien » des lieux qui se moque du superflu avec autant d’humour qu’il sourit de lui-même. « Un abri avec un lit confortable, ça c’est important » concède cet ancien vigneron du Minervois devenu aujourd’hui le seul maraîcher de la vallée. De son propre aveu, l’homme n’est « pas un fou de l’habitat alternatif » qui reste un bon compromis avant de pouvoir construire le bâtiment agricole qu’il imagine depuis 7 ans. Fort de 6 hectares dans « un coin merveilleux » et désormais armé du permis de construire, il quittera bientôt sa tente de fortune, afin de ne pas élever ses futurs enfants « comme des petits Mowglis ». Une même volonté de ne pas sombrer dans la marginalité et l’isolement taraude Hélène, qui vit depuis huit ans dans sa cabane en torchis coiffée d’un toit de paille où pousse l’herbe tendre. Installée au bout d’un chemin du piémont ariégeois inaccessible au profane, cette ancienne agricultrice engagée souhaiterait meilleure retraite et logis plus proche de la ville. Propriétaire de son terrain, elle a d’abord loué l’emplacement à des voisins, avant son installation définitive induite par un « drame intime » qui mène au pari de la pleine nature, laquelle n’exclut pourtant pas l’internet. « On a envie de vivre autrement avec ses moyens. On pourrait avoir droit à un petit appartement, mais on a tous un rêve … ».
Sur la route
A une cinquantaine de kilomètres de là, Rotule songe lui aussi à un monde meilleur, tranquille dans sa caravane garée au milieu des bois. Cet italien trentenaire on the road depuis trois ans et en France depuis onze illustre une autre réalité concomitante à bien des habitats mobiles : le nomadisme en forme de salut économique. Il a trouvé son point d’ancrage temporaire – un ancien terrain agricole en location – après être arrivé jusqu’au hameau de Baluet. (Fameux dans le réseau activiste libertaire, cet éco – village abandonné pendant une trentaine d’années est né d’un projet de réappropriation de la terre en friche en 1999). Saisonnier agricole et dessinateur de bande dessinée à ses heures, il a l’accès au réseau électrique, l’eau courante et un ordinateur connecté. De quoi aiguiser une critique sociopolitique réfléchie, en avouant que sa façon de vivre est aussi imposée que choisie. La « bricole » devient un projet existentiel à part entière, dans une volonté affirmée d’autonomie et de réduction des dépenses. « C’est un parcours de révolte face à un système qui ne m’a jamais plu » concède le jeune homme à la chevelure grisonnante qui envisage une sédentarisation progressive, au cœur d’une collectivité. Un souhait partagé par Caro, petite jeune femme volontaire victime de « grosses désillusions » professionnelles et privées, qui souhaiterait pouvoir accueillir en yourtes des femmes maltraitées. Aujourd’hui, cette ancienne travailleuse sociale en est à monter la sienne, sur une terrasse naturelle d’un col du Couserans avec vue imprenable sur la chaine. Aidé de Clément, bénévole de l’association qui gère l’atelier de construction d’habitats légers, elle a fabriqué en deux mois toutes les pièces de sa « bulle » mobile de 5 mètres 30 de diamètre, soit 22m2 au sol recouvert de fougères (un isolant traditionnel efficace et insectifuge une fois sec). A ses yeux, la yourte incarne la combinaison idéale de protection et de liberté retrouvées : la rondeur d’un refuge à soi, la mobilité d’une construction légère et de grands espaces au petit-déjeuner.
Yakari et compromis
Un endroit où se ressourcer, voilà aussi ce que représente sa maison de terre et de chaux aux yeux perçants de Fifi, la maman de Lili. Originaire du Jura, puis élevée en Ariège dans une communauté néo-rurale, cette trentenaire énergique avoue son amour du jardinage et de la nature préservée. Après une enfance sauvage, elle a construit de ses mains sa cabane de terre, aidée « d’une trentaine d’amis, pour que personne ne se sente exploité ». Impeccablement rangée, la maisonnée témoigne des valeurs de la jeune femme, entre rigueur morale et responsabilité individuelle :« j’aime la société, mais je ne suis pas prête à me soumettre à l’injustice ni à tout accepter». Elle redoute pourtant « la pression permanente de l’illégalité » autant qu’elle condamne l’exploitation actuelle des plus défavorisés. Et entre les deux, sa cabane en forme de diplôme achevé, preuve et moteur d’un avenir meilleur ; ailleurs. A l’autre bout des Hautes-Pyrénées, Muriel aussi a un projet : bâtir une auto- construction de terre et de paille adjacente à son abri amérindien, qu’elle vient tout juste de dresser au cœur d’une ferme équestre. En attendant d’acquérir ses propres terres, « le tipi, c’est parfait en temporaire, mais pas question d’y vivre l’hiver ». Agée d’une petite trentaine d’années, la jeune femme assume sa mobilité naturelle autant que son combat pour l’autonomie « en boycottant le système capitaliste ». Non loin de là, Pierre et Virginie ont aussi connu les affres du combat – et d’un procès gagné – pour (im)poser leur yourte colorée sur le terrain qui leur appartient. S’ils n’y souffrent pas du froid grâce à un poêle qui oblige parfois d’ouvrir la porte tellement il chauffe, ils reconnaissent que vivre dans un tel contexte est incompatible avec une existence normative, « car tout prend du temps ». A 1800 mètres d’altitude, ces deux jeunes agriculteurs savent que leur habitat mongol est un « tremplin » vers l’avenir, la durée de vie d’un tel logement n’excédant pas cinq ou six ans. Le temps, somme toute, de la réflexion.
Chevaliers modernes
Aussi différents soient-ils, tous ces néo-habitants des Pyrénées ont donc lutté pour créer leurs refuges au cœur des vallées. En proclament le droit à l’habitat choisi, ils condamnent une existence sinistrée au sein de l’urbanité. Et s’ils ont l’eau et l’électricité, tous se contentent de moins pour vivre dans un cadre autonome et préservé. Aucun d’eux, pourtant, ne souhaite demeurer dans un abri léger. Les représentants de habitants de logement éphémères ou mobiles le savent : ils sont des milliers, peu visibles, à s’inscrire dans une réalité socio-économique difficile à masquer : la difficulté de trouver à se loger. Au-delà de cette difficulté, d’autres, de plus en plus nombreux, font rimer choix de vie dépouillée et coup de cœur assumé. Marie-Pierre et Fanny, deux anciennes enseignantes, ont ainsi succombé aux « granges de l’impossible » qui les ont mené à tout quitter pour en assumer la rénovation respectueuse sur un terrain pourtant dénué de C.U. L’absence d’accès les distancie de la route la plus proche, « mais c’est peu de chose » en comparaison de la félicité qu’elles trouvent à vivre dans ce logis où désormais, impossible n’est plus français. Une happy end en forme d’espoir pour tous les atypiques mousquetaires des difficiles temps modernes. »